Je veux qu'on m'aime !

Anne Bisang, avec cette sensualité contenue qui la caractérise, dirige la Comédie de Genève en offrant aux acteurs un cadre rigoureux, tout en restant à l'écoute de leur imaginaire.


Audace, originalité et rigueur, trois qualités de la personne créative.

Oui, je suis capable d'audace et d'originalité, mais avec rigueur. Je suis proche de la réalité et ne me perds pas dans l'imaginaire, même si parfois, je lutte contre mon pragmatisme et mes préoccupations, afin qu'elles ne viennent pas grignoter sur mon imaginaire. Le combat quotidien entre ces deux pôles m'apporte certes l'efficacité, même si j'aimerais pouvoir lâcher un peu de ce contrôle et gagner en liberté.

La créativité a-t-elle un sexe ?

Je dirais qu'elle est féminine. C'est une énergie qui n'est pas qu'en force, elle peut être en creux et recevoir des influences, à l'opposé de l'énergie masculine qui est plus offensive, mais néanmoins nécessaire pour réaliser des choses.

Quelles sont les difficultés des femmes au théâtre ?

Trouver du travail, car les comédiennes se heurtent au répertoire qui est encore mysogine, en ce sens qu'il existe plus de rôles intéressants et variés pour les hommes, alors qu'il y a plus de comédiennes sur le marché. Elles devraient apprendre à se vendre. Lors des auditions, elles sont plus passives et attentistes et souffrent des échecs professionnels de façon plus personnelle. On ne m'a pas choisie parce qu'on ne voulait pas de moi, alors qu'un homme se dira, je ne correspondais pas au rôle. Point.

Qu'en est-il des autres métiers ?

Je mets en place un comité de lecture pour promouvoir l'écriture des femmes auteurs de théâtre qui dans le monde de l'édition n'apparaissent pas. Ce manque de visibilité est un obstacle à la stimulation d'écriture dramatique.
Pour ce qui est de la mise en scène, les femmes doivent faire passer une forme d'autorité qui peut dérouter les acteurs, qui seraient tentés de la remettre en question. Pour moi, ce flottement me permet d'imposer un autre langage. Je n'ai pas à endosser toute une histoire ou une filiation, dont les hommes s'embarrassent beaucoup pour plaire à une figure de référence. Je n'obéis pas à des dogmes, je suis plus libre d'inventer sur la page blanche face à moi. C'est un atout.
Enfin en tant que directrice de théâtre, je me sens davantage observée, je dois répondre à des mises en doute ou des procès d'intention, qui paradoxalement nourrissent ma combativité.


Propos recueillis et mis en forme par Anne-Catherine Pozza
Article paru dans Femmes en Suisse, Novembre 1999

 

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